LE ROI EN EXIL (1939/1961)


Le passage en Grèce n'est que la première étape d'un périple qui conduira la cour royale successivement en Turquie, en Roumanie, en Pologne, aux pays Baltes, en Suède et en Norvège, pour finalement atteindre la France, en juillet 1939. Ils auront dû faire tous ces détours pour éviter de tomber aux mains des allemands donc des italiens.

La famille royale s’installe d’abord au château de la Maye, à Versailles, et fin 1939, le Roi Zog à loué le château de Mesnil-Saint-Denis.

 

(Illustration "Du Mênil-Habert au Mesnil-Saint-Denis" de Olivier Fauveau - 1989)

La Cour était alors composée d’une quarantaine de personnes.

Le 10 mai 1940, alors que les allemands lanceront une vaste offensive sur le Nord de la France, la famille royale prendra la route de l'Exode en direction d’Orléans, puis de Royan, puis de Bordeaux et, enfin, Saint-Jean-de-Luz pour, ensuite, embarquer pour l'Angleterre du Roi George VI qui leur a aussitôt accordé l'asile politique. Le Roi tentera d'obtenir de l'aide du gouvernement anglais pour organiser la résistance, alors que progressivement Churchill joue la carte de la résistance communiste.

Durant l'été 1940, Mussolini, un peu irrité par les fulgurantes victoires de l'Allemagne à l'Ouest, souhaita, lui aussi, étaler sa force, montrer son génie militaire tout en élargissant son empire. C'est à la Grèce toute proche et terriblement tentante qu'il songeait. Le 28 octobre 1940, les troupes italiennes, partant du Sud de l'Albanie, attaquèrent la Grèce. C'est alors que les deux bataillons de recrues albanaises envoyés de force au front refusèrent de se battre et que des actes de sabotages se produisirent.

En fait, la résistance albanaise, encore dans sa phase embryonnaire, avait décidé de faire cause commune avec le peuple grec combattant pour sa liberté et son indépendance.

A cette occasion, les fascistes lancèrent une véritable campagne de propagande visant à rallier les Albanais à l'idée de la "Grande Albanie" et, par là même, aux puissances de l'Axe, garantes de l'union nationale albanaise.

Il est évident que les fascistes jouaient sur la sensibilité des Albanais, qui n'avaient jamais approuvé les décisions des grandes puissances démembrant leur pays, et sur les souffrances qu'avaient endurée la population du Kosovo sous l'oppression de la monarchie serbe et yougoslave (Cf le mémoire présenté le 7 mars 1937 à Belgrade par Dr Vasa ÇUBRILOVIC intitulé "L’expulsion des Arnaoutes" - Archives de l'ancienne Armée yougoslave, document classé "confidentiel" et référencé "n°2, fasc. 4, boîte 69")

Le 2 novembre, la résistance de tout le peuple grec se lança à la contre-attaque. Le 18 novembre, la déroute italienne était générale et, le 20, l'armée de Macédoine foulait le sol albanais. A la fin novembre, Korça et Pogradec étaient occupés par les grecs et, le 28 novembre, Girokastra tombait à son tour. 

La froideur de l'hiver 1940-1941 pétrifia la guerre. Les italiens arrêtèrent de reculer, les grecs d'avancer.

Hitler, ne pouvant laisser les grecs ridiculiser les forces de l'Axe, entreprit l'opération "Marita" dans les Balkans. Le 6 avril 1941, ses troupes franchirent simultanément les frontières grecque et yougoslave. D'emblée Belgrade fut cruellement bombardée et, le 27, la Wehrmacht était aux portes d'Athènes.

Après la capitulation de Belgrade et d'Athènes, Von Ribbentrop et Ciano déterminèrent, à Vienne, la nouvelle carte politique des Balkans.

L'Italie, pourtant discréditée par sa guerre contre la Grèce, avança au nom du gouvernement albanais des revendications territoriales fondées sur des principes ethniques. Elle obtint la restitution du Kosovo et de la Cameria, et d'une zone albanophone jusqu'alors incorporée au Monténégro.

La résistance albanaise reprit forme face aux nouveaux agresseurs. La lutte consista, tout d'abord, à refouler successivement les fascistes et les nazis, puis, ensuite, à s'emparer du pouvoir.

Alors que les nationalistes s'engagèrent aussitôt dans la résistance, les communistes chercheront plutôt à s'organiser en une force déterminante. La guerre n'aura été, en fait, pour eux, qu'une occasion de se structurer et de prêcher la propagande marxiste afin de conquérir, demain, le pouvoir. Aussi, avant de lutter contre l'occupant, les communistes n'hésitèrent pas, dans cette optique, à s'attaquer d'abord aux résistants nationalistes fidèles à leur patrie et à leur souverain.

Ainsi, la seconde Guerre mondiale aura permis aux communistes de se constituer en une puissante organisation et de prendre le pouvoir à l'abri, non pas de l'armée rouge, mais des partisans de Tito à qui l'organisation du parti communiste albanais revient en exclusivité.

En effet, dès la libération totale du pays, le 29 novembre 1944, le gouvernement provisoire d'Enver Hodja s'installa à Tirana et, aussitôt, des tribunaux populaires prononcèrent des condamnations à mort contre ce qu'ils appelleront les "criminels de guerre" qui, en fait, désignaient toutes les personnes non favorables à l'instauration du pouvoir communiste.

D'ailleurs, M. Hodgson, représentant de la mission britannique, écrira à ce sujet, le 11 février 1946 : "un mini règne de la terreur s'est instauré contre les catholiques, les non communistes, les commerçants et les étrangers".

Aussi, alors que les Américains et les Anglais firent savoir qu'ils ne reconnaîtraient le gouvernement que s'il procédait à des élections libres, le gouvernement soviétique en profita pour reconnaître officiellement, en novembre 1945, le gouvernement démocratique de l'Albanie. Puis, la Yougoslavie, la Pologne, la Bulgarie, la Tchécoslovaquie et la France le reconnurent à leur tour, ce qui renforça la position internationale du pouvoir populaire alors que le gouvernement Hodja devenait une brutale dictature. En effet, la propriété privée fut abolie ; l'activité religieuse fut restreinte et, le 2 décembre 1945, une Assemblée constituante fut "élue" sans qu'aucune opposition ne fut tolérée. Enfin, le 11 janvier 1946, L'Assemblée constituante proclamait la "République populaire".

De son côté, le roi Zog, déçu de l'attitude des occidentaux, cherchera désormais, plutôt l'appui des pays arabes et, en janvier 1946, la famille royale quittait définitivement Londres pour l'Egypte du roi Farouk Ier.

En 1948, la "guerre froide" débuta.

C'est a partir de ce moment que vint l'idée à l'Ouest que, peut-être, l'Albanie n'était pas un pays aussi dénué d'importance qu'on l'avait cru. Pour les Anglais, le temps était venu de représailles contre les agressions de Staline en Europe. La Grande-Bretagne estimait avoir le droit d'essayer de renverser un gouvernement pro-soviétique à Tirana, puisque Staline essayait de renverser un gouvernement pro-occidental à Athènes. Enfin, si le plan albanais réussissait, il pourrait se produire une réaction en chaîne qui ferait refluer la marée de l'impérialisme soviétique. 

Mais, avant toute chose, l'Angleterre pensait qu'il fallait organiser l'union politique des meneurs en exil. Au printemps 1949, l'objectif devint, donc, de créer une base politique à partir de laquelle on pourrait lancer le renversement militaire du gouvernement Hodja. Mais, la première difficulté venait du manque d'unité qui régnait entre les Albanais en exil. Quoiqu'il en soit, ces factions politiques étaient unies par leur fervente opposition au communisme et par leur méfiance à l'égard de leurs voisins, la Grèce et Yougoslavie, qui cherchaient à annexer leur territoire.

Pour les Anglais, c'est précisément sur ces facteurs d'unification qu'il fallait jouer pour persuader les Albanais de choisir d'un commun accord un président et un comité exécutif qui constitueraient le gouvernement du pays après la libération. Mais, la rivalité et la méfiance entre royalistes et républicains rendaient toute entente difficile à obtenir.

Finalement, un compromis politique fut trouvé le 7 juillet 1949. M. Abas Kupi, le candidat désigné par le Roi, fut nommé président de la junte militaire, organisme secret qui contrôlerait les opérations militaires, avec M. Ermenji et M. Saïd Kryeziu pour adjoints, tandis que le secrétaire du Roi, M. Gaji Gogo, se voyait confier le secrétariat de la junte et celui du comité exécutif national d'Albanie, organisme politique à caractère public mis en place afin de sensibiliser le monde occidental au problème albanais. Enfin, la présidence du comité revint au chef du groupe balliste, M. Frashëri.

Mais, le 3 octobre, M. Frashëri décéda et il fallut quelques mois avant de lui trouver un successeur. Finalement, le choix se porta sur M. Hassan Dosti, un autre membre éminent du Balli Kombetar.

D'abord soutenues par les Anglais, puis conjointement avec les Américains et, enfin, conduites par ces derniers seuls, les opérations de déstabilisation ont consisté a soustraire l'Albanie de l'orbite communiste.

Quant aux hommes choisi pour ces opérations, il s'est agi de réfugiés albanais regroupés en une unité de deux cent cinquante hommes appelée la "Compagnie 4000" et qui se trouvait située dans la zone américaine de l'Allemagne de l'Ouest. La principale raison d'être de la "Compagnie" était de fournir des stagiaires qui puissent être formés aux techniques de la guérilla par des officiers américains, puis parachutés dans les provinces du Nord ou du centre de l'Albanie.

Plusieurs opérations furent tentées sur le terrain (par des patriotes tels Kuka, Lepenica, Gjura et Halil Nerguti), mais toutes échouèrent à plus ou brève échéance, même si des contacts positifs avaient été établis avec la population et avec des officiers albanais.

Cependant, l'espoir demeurait. Aussi, le Roi Zog, au cours de l'été 1951, fit un voyage aux Etats-Unis pour discuter des véritables raisons de l'échec des précédentes missions et pour préparer une opération de plus grande envergure. Le but de la C.I.A. était d'infiltrer des volontaires afin de recueillir des informations pratiques et d'établir des bases opérationnelles pour un futur soulèvement de la population.

Arrivée du Roi Zog aux Etats-Unis - 1951

Finalement, les hommes qui furent choisis pour cette ultime mission, étaient des hommes sûrs, pour la plupart, des membres de la propre garde royale du Roi Zog. A leur tête se trouvaient les capitaines Zenel Shehu et Halil Branica, les guides Hamit Matjani et Tresora, l'opérateur radio Prenci, Haxhi Gjyle et Isan Toptani.

Ceux-ci, ayant pour mission d'organiser des foyers de résistance avant qu'intervienne le renversement effectif d'Hodja, pénétrèrent en Albanie le 28 avril 1952. Mais, très vite, ils furent, soit capturés, soit tués, sans toutefois que leur commanditaire de l'extérieur n'en soit informé. Bien au contraire, la Sigurimi, la police secrète albanaise, avec l'aide de leurs collègues soviétiques les fit passer pour vivants en transmettant en leurs noms de fausses informations radio aux Américains.

Ainsi, ce n'est qu'à la fin de l'année 1953 que la radio albanaise annonça que tous les membres du complot étaient aux mains de la Sigurimi et attendaient leur procès.

Le 12 avril 1954, le juge de Tirana décida de la culpabilité des accusés et rendit son verdict : la peine de mort pour tous.

Finalement, la "Compagnie 4000" fut dissoute et l'on apprit plus tard que l'un des responsables de l'opération, Kim Philby, travaillait non seulement pour l'Intelligence Service mais aussi pour le K.G.B. et que celui-ci avait transmis à l'avance les lieu, date et heure de chaque opération (Cf. "Philby, l'Intelligence Service aux mains d'un agent soviétique" de Bruce Page, Phillip Knightley et David Leicht aux Editions Robert Laffont et "La grande trahison" de Lord Bethell aux Editions Flammarion).

Entre temps, la situation en Egypte s'est dégradée, le roi Farouk a été contraint à l'exil au milieu de l'été 1952 et le colonel Nasser a supplanté le général Neguib fin 1954. Aussi, après s'être rétabli de problèmes de santé, le roi Zog et ses proches quittent Alexandrie pour Cannes.

Mais, la santé du roi décline et, le 5 avril 1957, à l'occasion des dix huit ans du prince Leka, il proclame son fils héritier de la couronne.

Début 1961, il est hospitalisé à Suresnes où il s'éteindra, le 9 avril, à seize heure, à l'âge de 65 ans. Il repose au cimetière parisien de Thiais. Le Roi Zog était selon l'acte original de décès, grand cordon de la légion d'honneur, grand cordon du sauveur de Grèce, grand collier d'Albanie, Annunciata d'Italie, Maria Thérésa d'Autriche, grand cordon de l'ordre de Beza et grand cordon de Léopold de Belgique.

 

Commémoration du centenaire de la naissance du Roi des Albanais Zog Ier au cimetière de Thiais - 1995 - France

Sur la photo de gauche, M. Suleman Gjanaj faisant l'éloge du Roi Zog, et, sur la photo de droite, on distingue, en train de se recueillir, M et Mme Skender Zogu, M. le député Renaud Muselier et à droite le cinéaste M. Mesut et M. Ysuf Vrioni, le traducteur de Kadaré, devenu Ambassadeur d'Albanie auprès de l'UNESCO.

 

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